Les défis environnementaux en Afrique, quels enjeux pour le continent ?
Parmi les régions du monde considérées les plus exposées aux dégradations environnementales, l’Afrique apparaît de nos jours comme l’une des plus vulnérables. Cette vulnérabilité est à la fois fonction du système climatique complexe du continent et de l’interaction de ce système avec les défis socio-économiques qui le caractérisent actuellement.
Un continent particulièrement sensible aux dégradations environnementales
Parmi les régions du monde considérées les plus exposées aux dégradations environnementales, l’Afrique apparaît de nos jours comme l’une des plus vulnérables. Cette vulnérabilité est à la fois fonction du système climatique complexe du continent et de l’interaction de ce système avec les défis socio-économiques qui le caractérisent actuellement. En effet, depuis les Indépendances, le continent africain connaît d’importantes transformations liées notamment à l’augmentation de sa population et de ses besoins , exerçant des pressions croissantes tous azimuts dans des domaines tels que l’eau, les forêts, les terres et son corolaire le partage foncier, l’agriculture ou bien encore la biodiversité. Ces pressions sont amplifiées, depuis plus d’une vingtaine d’années, par un dérèglement climatique dont les manifestations y sont de plus en plus intenses. En provoquant une dégradation des ressources en eau douce, une baisse de la production agricole, une augmentation des phénomènes extrêmes ou bien encore des mouvements migratoires nouveaux, le changement climatique agit alors comme un catalyseur des défis d’un continent marqué, depuis la fin de la guerre froide, par une proportion élevée de pauvreté au sein de la population et par de nombreuses crises politiques.
S’il est rare que les problèmes environnementaux soient directement à l’origine d’une situation de crise, l’histoire récente nous prouve que l’environnement en constitue néanmoins un facteur aggravant. En fait, les interactions entre environnement et sécurité sont nombreuses et complexes. Par exemple, et bien que l’Afrique ne soit responsable que de 3 à 4 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre , le continent est, certainement plus qu’ailleurs, exposé aux menaces que le changement climatique fait peser sur la croissance économique et le développement durable ainsi que sur la réduction de la pauvreté et la sécurité humaine. Or les menaces liées aux dégradations environnementales sont diverses et tous les États n’ont pas la même capacité à y faire face. En outre, l’Afrique concentre actuellement un grand nombre de pays pauvres ; neuf des dix pays les plus pauvres au monde se situent en Afrique-subsaharienne . Aussi, l’ampleur et la rapidité des changements climatiques y remettent en cause la capacité des États à s’adapter à de tels chocs, multipliant ainsi les zones de fragilités et de tensions .
En Afrique, comme sur les autres continents, les réponses apportées aux défis environnementaux sont souvent équivoques. De manière générale, les pays en développement peuvent être réticents à s’engager sur le terrain des questions environnementales car il conduit, selon eux, à occulter les principales réponses à apporter à leurs problèmes de développement . Si les États africains admettent tous l’importance des dégradations environnementales, et la nécessité de respecter des équilibres écologiques dans leurs agendas de développement, ils soulignent néanmoins que les pays développés en sont largement responsables. Ils rappellent, par ailleurs, l’urgence d’aider les pays les plus pauvres, qui sont également les zones identifiées comme les plus vulnérables, à s’adapter aux conséquences du réchauffement climatique. En effet, ces derniers sont, pour la plupart, déjà touchés par la dégradation environnementale et des tensions sur les ressources ; par ailleurs, ils n’auront pas les moyens de s’adapter au changement climatique, risquant alors d’être davantage déstabilisés. Dans ce contexte, la question environnementale en Afrique devient indissociable de la problématique du développement et l’enjeu est ici de savoir comment atténuer les menaces posées par la modification du climat sans compromettre l’objectif de forte croissance indispensable pour faire face au défi démographique et réduire durablement la pauvreté et les inégalités frappant le continent .
Les principaux défis environnementaux de l’Afrique
Si l’Afrique est caractérisée par une multiplicité de dégradations environnementales, le fort exode rural qui marque le continent, l’absence de régulations des activités économiques et industrielles ou bien encore le caractère faiblement interventionniste des politiques publiques permettent de dégager ici une première typologie (et une géographie) des risques liés à l’environnement :
- Un degré élevé d’incertitudes climatiques : Sans entrer dans le débat sur la fiabilité des différents scénarios climatiques prévus pour l’Afrique, force est de constater que le continent est très affecté par le réchauffement global en cours . Selon le Groupe d’experts intergouvernementaux sur l’évolution du climat (GIEC), la température moyenne annuelle devrait, dans les trente prochaines années, partout augmenter de 2 à 3°C, notamment dans les régions arides avec localement des pics entre +4 et +6°C . Ces variations devraient affecter le rythme des saisons et donc l’intensité des précipitations. Une forte diminution des pluies est ainsi considérée comme très probable en Afrique du Nord et en Afrique australe, aggravant les phénomènes de sécheresses. À l’inverse, elles devraient croître sur les hautes terres d’Afrique de l’Est et de la Corne, avec une multiplication des inondations. À l’image des autres régions de la planète, les experts du GIEC prédisent également que les changements climatiques entraîneront davantage d’événements climatiques extrêmes, tels que des sécheresses, inondations, cyclones, tempêtes de sable, et feux de forêt et que ceux-ci deviendront de plus en plus dévastateurs. L’augmentation prévue de la fréquence et de la gravité de ces phénomènes risque d’engendrer des déplacements conséquents de population des zones vulnérables vers des endroits plus moins exposés, sans compter le poids économique supplémentaire auquel devront faire face les États touchés.
- Un accès à l’eau de plus en plus difficile : L’approvisionnement en eau est au cœur des perspectives de développement du continent africain. Si l’Afrique dispose aujourd’hui de 9 % des ressources mondiales en eau douce renouvelable pour 15 % de la population, ses besoins en eau potable devraient tripler d’ici 10 ans, du fait notamment de l’essor démographique, de l’urbanisation, de l’agriculture et du développement des activités, alors que dans le même temps les changements climatiques risquent d’aggraver les pénuries . Or ce constat est particulièrement inquiétant au regard de la situation actuelle. En effet, les ressources en eau subissent déjà de fortes pressions. Seule une personne africaine sur deux bénéficie aujourd’hui d’un accès durable à l’eau potable et les projections à cinq ans prévoient que près de la moitié des 54 pays qui composent le continent connaitront un état de stress hydrique ou bien de pénurie .
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Une désertification en pleine expansion : L’Afrique est particulièrement affectée par la désertification. En effet, le continent représente 37 % des terres en voie de désertification dans le monde ; un peu plus d’un tiers de sa superficie est menacé par la désertification et 10 % des terres y sont déjà considérées comme fortement dégradées . La désertification touche ainsi de vastes régions, principalement des zones semi-arides situées sur les pourtours des grands déserts (Afrique du Nord, bande sahélienne, Corne de l’Afrique et Afrique australe). Ce sont plusieurs millions de personnes qui sont directement affectées par ce problème alors que l’économie du continent repose principalement sur l'exploitation des terres pour assurer les moyens de subsistance de ses populations. L’accélération récente de ce phénomène pourrait favoriser l’émergence de conflits intra- ou inter-États.
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Une déforestation extrêmement menaçante : Avec plus de 240 millions d’hectares de couvert forestier , l’Afrique abrite dans sa partie centrale la deuxième plus grande forêt tropicale au monde, après l’Amazonie. Or, et malgré l’existence d’importants mécanismes de protection à l’échelle régionale et mondiale, la déforestation continue de progresser en Afrique. La FAO a estimé que 14,2 millions d’hectares ont disparu sur le continent entre 2010 et 2015 et parmi les dix pays ayant connu la plus forte baisse de superficie forestière entre 1990 et 2015 figurent la République démocratique du Congo, la Tanzanie et le Zimbabwe . Si le taux annuel de déboisement est assez contrasté à travers le continent, avec une Afrique occidentale particulièrement touchée , les facteurs explicatifs de la déforestation/dégradation des forêts sont avant tout d’origine anthropique. Parmi les principaux facteurs on note : i) la consommation du bois de combustible (cuisine, chauffage, etc.) ; ii) le défrichement préalable à l’extension des surfaces cultivées ; iii) l’exploitation des grumes ; iv) les feux de brousse liés à l’agriculture, la chasse ou bien le pastoralisme. Enfin, et au-delà des enjeux locaux (dégradation des sols, réduction des ressources végétales et fauniques, etc.), les forêts africaines renferment une dimension plus globale. Étendues sur près de deux millions de kilomètres carrés , le rôle des forêts tropicales du bassin du Congo est majeur dans le stockage du dioxyde carbone (près de 46 milliards de tonnes) et dans la libération d’oxygène à l’échelle continentale et mondiale. En outre, la région abrite plusieurs milliers d’espèces végétales et animales sensibles à l’exploitation démesurée des forêts.
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Un équilibre entre agriculture, sécurité alimentaire et protection de l’environnement difficilement atteignable : Produire suffisamment pour nourrir sa population en forte croissance, alors que le climat ne cesse de se réchauffer avec le changement climatique, tout en préservant l'environnement, c'est certainement le défi le plus difficile que les décideurs devront affronter dans les prochaines années. Si jusqu’à présent, les agriculteurs africains ont répondu à l’augmentation de la demande alimentaire par l’extension des superficies cultivées, la diffusion de nouvelles semences et le maraîchage, ce modèle a largement prouvé ces insuffisances depuis plus de quarante ans. De nos jours, un africain sur cinq souffre de la faim . La forte pression sur les ressources (terres, eau) se trouve accentuée par les dégradations environnementales et les changements climatiques. De plus, les projections des experts sont alarmantes ; le continent risque de connaître d'ici à 2050 une baisse de 20 % de ses rendements agricoles (en raison de la dégradation des sols et de la désertification), alors que, dans le même temps, sa population devrait doubler.
Depuis mars 2020, la pandémie de la COVID-19 a fait des ravages dans la vie et les moyens de subsistance des populations à travers le monde. Bien que les taux d'infection par la COVID-19 en Afrique ne soient pas aussi élevés que sur d’autres continents, le ralentissement économique et les perturbations sociales causés par la pandémie mettent à mal des décennies d'avancées en matière d’environnement et de développement sur le continent .
En guise de conclusion
Les défis environnementaux auxquels l’Afrique doit faire face sont nombreux et complexes. En portant atteinte à la stabilité des États, il est désormais admis que les dégradations environnementales ainsi que le dérèglement climatique auront, dans les prochaines années, d’importantes conséquences sur la sécurité des populations et des États. Par ailleurs, la dépendance croissante de l’économie mondiale à des ressources limitées, souvent présentes en Afrique, pose, avec acuité, la question de la sécurisation de l’approvisionnement et du contrôle des ressources. En fait, face à l’ampleur des bouleversements géopolitiques attendus (tensions autour des ressources naturelles, modifications territoriales, affaiblissement des États fragiles, multiplication des évènements climatiques extrêmes et augmentation des mouvements migratoires), les équilibres régionaux et internationaux devraient s’en trouver fragilisés.
Toutefois, et bien que l’Afrique soit longtemps restée dans une « position périphérique » dans la mondialisation environnementale, la 21ème Conférence des Parties sur les changements climatiques (CdP21 ou CoP21), en 2015 à Paris, a permis que les spécificités du continent, notamment sa vulnérabilité au changement climatique, soient enfin pleinement prises en compte . Les CoPs suivantes ont certes déçu par leurs peu d’avancées pour l’Afrique, à l’image de la dernière CoP26 à Glasgow ; elles ont cependant permis de porter à l’agenda public international la nécessité pour les États occidentaux, principaux émetteurs de gaz à effet de serre, d’agir concrètement pour réduire leur empreinte carbone mais également la nécessité de mettre en place un mécanisme efficient de soutien financier aux États africains, qui pâtissent les premiers de ce dérèglement climatique.
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Points d’attention à souligner à l’occasion du forum 2021 de Dakar
Au regard à la fois de l’accélération du dérèglement climatique et du contexte géopolitique actuel en Afrique, quelques premières pistes de réflexions peuvent être ici avancées en vue notamment d’aider à l’élaboration de réponses concrètes face aux défis environnementaux, notamment :
- Proposition n°1 : Encourager les travaux de recherche pluridisciplinaires africains sur les défis environnementaux, et plus particulièrement sur le lien entre environnement et sécurité. L’objectif étant ici de doter l’Afrique d’une expertise continentale en la matière.
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Proposition n°2 : Renforcer la bonne gestion de l’incertitude par les États africains. Il paraît essentiel que les décideurs élaborent des stratégies, aux niveaux national et régional, permettant de mieux gérer et d’atténuer l’impact de la variabilité du climat, les options allant de la réduction de certaines formes d’incertitude (meilleures prévisions saisonnières et à long terme) à l’atténuation des impacts (meilleure gestion de l’eau ou encore de l’insécurité alimentaire, politique commune au niveau régional pour la gestion des forêts, etc.).
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Proposition n°3 : Intégrer systématiquement les questions environnementales dans les stratégies de développement, notamment celles élaborées par les partenaires techniques et financiers du continent africain. Les impacts des dégradations environnementales et du changement climatique sont un enjeu du développement et l’investissement dans le développement est le meilleur instrument de promotion de la paix et de la sécurité.
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Proposition n°4 : Promouvoir tout dialogue portant sur les questions environnementales au sein des différentes enceintes régionales et plus largement internationales. En effet, faire face au changement climatique exige la mise en place de canaux d’échanges et d’informations mais aussi de mécanismes réglementaires multilatéraux. Le dialogue bilatéral et multilatéral entre les pays africains et ceux du Nord, ainsi que la promotion de celui-ci au niveau des institutions régionales africaines, devraient ainsi figurer parmi les priorités. Dans le cadre des questions sécuritaires, engager un dialogue sur l’intégration des variables environnementales dans le suivi et l’analyse des mécanismes d’alerte rapide apparaît également comme une piste pertinente.
Mathieu MÉRINO, expert politique et spécialiste de l’Afrique
Chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS)
Décembre 2021