Il y a dix ans, des prédictions audacieuses envisageaient l’Afrique comme « le continent de l’avenir ». Les conflits s’affaiblissaient et l’Afrique sortait indemne de la crise financière, tandis que le printemps arabe apportait l’espoir de soulèvements contre les gouvernements autoritaires en Afrique subsaharienne aussi. Le potentiel démographique de l’Afrique a enthousiasmé les investisseurs. Selon les estimations, la population du Nigeria pourrait atteindre près de 800 millions d’ici 2100, tandis que la RD Congo, l’Éthiopie et la Tanzanie pourraient également figurer parmi les dix pays les plus peuplés du monde. Un tiers de la population mondiale vivra sur le continent. Le Fonds monétaire international a annoncé que, d’ici quelques années, la moitié des 20 économies les plus dynamiques du monde se trouveront en Afrique et que son PIB global augmentera de 6 à 7 % par an au cours des deux prochaines décennies. « Le commerce » est devenu le mot d’ordre pour les relations avec l’Afrique.
Pourtant, une baisse des prix des matières premières en 2014 a conduit les investisseurs à modérer leur enthousiasme. Les pays dépendant des exportations de métaux et d’hydrocarbures ont eu d’énormes difficultés à équilibrer leur budget, tandis que les dettes augmentaient et que les investissements ont sensiblement diminués. Les Afrosceptiques ont souligné que, malgré le potentiel démographique évident, les anciens obstacles à la croissance n’étaient toujours surmontés.
Aux yeux des autorités polonaises l’Afrique continue d’être un continent d’avenir, en raison de ses marchés, de ses ressources naturelles abondantes et de sa population croissante, mais il devrait être abordé en termes de pays individuels, et non dans son ensemble. Selon le dernier rapport de la Banque africaine de développement, l'Afrique devrait renouer avec la croissance économique en 2021 (3,4 %), après une 2020 marquée par la récession (-2,1 %), l'une des plus importantes que le continent africain ait connue depuis un demi-siècle due à la pandémie de Covid-19 . Dans ce contexte, la Pologne s’intéresse de plus en plus au continent africain et s’efforce depuis des années de faire progresser la coopération avec les Etats africains tant au niveau international qu’au niveau national.
Les entreprises polonaises sont de plus en plus actives en Afrique. Et avec d’importants investissements privés soutenus par des plateformes et des institutions rassemblant des entreprises intéressées par le marché africain, la Pologne pourrait être bien placée pour élargir ses liens commerciaux et d’investissement avec le « continent du futur », en profitant de sa bonne image d’un pays sans passé coloniale et de ses propres expériences de transition économique.
La présence de la Pologne sur le continent africain n'est pas récente. Du temps de la guerre froide, Varsovie a entretenu des relations soutenues avec des partenaires africains, tant dans les domaines de l'éducation et de la culture, que dans la coopération économique. Ainsi, entre 1962 et 1989 les échanges avec l'Afrique sont passés de 31,7 à 384 millions de dollars, avec un pic allant jusqu'à 470 millions de dollars en 1976.
La Pologne a fortement soutenu le processus de décolonisation en Afrique et a joué un rôle important, en tant que membre non-permanent du Conseil de Sécurité de l'ONU dans l'admission de 16 pays africains en 1960 au sein de l'Organisation.
Après l'effondrement des régimes communistes qui a réduit l'offensive diplomatique des pays de l'Europe centrale et orientale en direction du continent africain, des relations commerciales ont continué de progresser. En effet, les exportations de la Pologne vers l'Afrique ont plus que décuplé, pour atteindre 568 millions de dollars en 2004, année de l'entrée du pays au sein de l'Union européenne.
Les questions africaines apparaissent dans le débat politique polonais principalement dans le cadre de la politique de sécurité de l'Union européenne, de la fermeture de ses frontières extérieures, de la lutte contre l'afflux de migrants illégaux et le développement des menaces terroristes, de l'aide au développement et de l'aide humanitaire, et du transfert des expériences de transformation systémique . Beaucoup de sujets abordés par les autorités polonaises dans les relations avec les pays africains résultent d'accords conclus par l'Union européenne, comme, par exemple, la « stratégie conjointe Afrique-UE » de 2007. La Pologne ne s’est toujours pas dotée d’une stratégie nationale à l’égard de l'Afrique. La première chose que les Polonais associent souvent à la société africaine moyenne est la pauvreté. Depuis que la Pologne a entamé sa propre transformation, puis a rejoint l’OTAN et l’Union européenne, elle se sent – à juste titre – partie du monde développé. Cette perception polonaise de l’Afrique, qui change, fort heureusement, traduit un complexe d’infériorité vis-à-vis de l’Occident. Les autorités polonaises ont longtemps considéré l’Afrique comme réservée aux anciennes puissances coloniales et aux acteurs mondiaux, et elles se sont limités souvent à l’arrière-cour européenne sûre mais exiguë. Les investisseurs sont satisfaits des faibles marges de 2 % par an dans un environnement stable de l’UE, laissant des marges bien supérieures à 10 % aux grandes puissances. D’autres pays forts dans leurs régions mais proches de la Pologne en termes de développement, comme la Malaisie, le Brésil et la Turquie, n’ont pas de tels complexes.
Parallèlement aux investissements dans les infrastructures, la Chine (ainsi que la Turquie) gagne de l’argent avec des produits à usage unique bon marché. La Pologne, qui n’a pas à rivaliser avec les acteurs mondiaux en termes d’échelle, est en mesure de rivaliser avec des produits de qualité européenne à des prix attractifs. C’est ainsi qu’il est promu au Sénégal, par exemple. L’absence d’un passé colonial de la Pologne est un avantage non négligeable. Non seulement les partenaires africains n’ont pas de préjugés historiques contre la Pologne, mais les Polonais partagent leurs expériences de faire partie d’empires étrangers. La Pologne peut également promouvoir sa propre voie vers la libéralisation de l’économie et du capitalisme. Cette rhétorique contribuera à renforcer la confiance, car les sociétés africaines sont plus réceptives aux investisseurs qui ne sont pas accablés par l’histoire. L’exemple de la Chine le montre – son expansion est accueillie par les Africains comme la réalisation d’intérêts économiques, et non géopolitiques.
De nombreux Africains sont également conscients de la réussite polonaise de la libéralisation économique et de l’attraction des types d’investissements étrangers dont l’Afrique a besoin. En outre, dans les années 1970, la Pologne a accueilli des étudiants africains boursiers, ce qui nous a donné une place dans la conscience d’une partie de la main-d’œuvre instruite.
Pourtant la Pologne n’exploite pas son potentiel. En 2018, les exportations de la Pologne vers l’Afrique s’est ressaisie à 2,8 milliards de dollars, soit seulement 1,1% de toutes les exportations. Ce montant a augmenté de 25% en 2020. La Pologne exporte plus au Danemark qu’à toute l’Afrique. Un quart de cette valeur est allée à l’Afrique du Sud, ce qui démontre le peu d’utilisation que les autorités polonaises font du potentiel commercial avec les autres pays du continent.
L'Afrique n'a jamais été une destination prioritaire de l'aide au développement polonaise qui, pour des raisons géographiques et historiques, se concentre sur les pays d'Europe de l'Est. Cependant, bien que les possibilités d'action soient assez limitées, il est possible d'augmenter et d'améliorer l'aide polonaise à l'Afrique. En planifiant l'aide bilatérale de manière plus stratégique et en utilisant des mécanismes multilatéraux tels que la coopération déléguée ou les programmes internationaux, la Pologne peut devenir plus visible en Afrique et assurer une meilleure coopération avec les économies émergentes du continent à l'avenir.
En 2020, l’aide publique au développement allouée par la Pologne aux pays les moins avancés s’est établie à 190,71 millions d’euros dont 23,9 millions d’euros ont été accordés aux pays Africains .
Depuis 1989, les forces armées polonaises ont participé à 22 opérations de stabilisation et de maintien de la paix, lancées dans le cadre de l’’ONU et de l’UE. En 2014, la Pologne a soutenu l’opération française en République centrafricaine (opération Sangaris) en envoyant 30 soldats, déployée en déployée en décembre 2013 dans un contexte d’une grave crise intercommunautaire qui a secoué la Centrafrique.
La présence diplomatique est limitée. En effet la Pologne ne dispose que de sept ambassades dans la région (en République Sud-africaine, au Sénégal, en Angola, en Ethiopie, au Kenya, au Niger et en Tanzanie). Cinq ambassades des pays de l’Afrique subsaharienne sont présentes en Pologne (Angola, République démocratique du Congo, Niger, République Sud-Africaine).
Plusieurs entreprises polonaises ont réussi à s'implanter sur le continent africain, à l'instar du constructeur naval Navimor qui a remporté plusieurs contrats importants, comme au Nigeria où il a construit un complexe maritime de 100 millions de dollars en 1998. En Angola, le même constructeur a conçu, une académie navale grâce au soutien du gouvernement de Luanda dont une dette de 156 millions de dollars venait d'être effacée à 60 % par le gouvernement polonais.
Des échanges polono-africains de 26 % entre 2012 et 2014, soit de 2,86 à 3,61 milliards $, avec l’expansion de firmes polonaises telles Ursus qui a remporté des contrats en Éthiopie (90 millions $) et en Zambie (100 millions $).
En 2014, 3105 entreprises polonaises opéraient sur le continent africain dans les domaines très variés comme l’agriculture (Mokate), l’industrie (Ursus), la construction (Izodom), les mines (Kopex), la Défense (Lucznik) et les TIC avec Asseco.
L’expansion des entreprises polonaises s’est accélérée après 2011. En 2012-2015, les exportations polonaises vers l’Afrique ont augmenté de près de 68%. Nos principaux partenaires commerciaux en Afrique subsaharienne sont l’Afrique du Sud, le Sénégal, la Tanzanie, le Kenya et le Ghana. L’essor de l’Afrique a été stimulé en Pologne par la formation du Conseil des investisseurs en Afrique et l’activité médiatique des principaux acteurs du monde des affaires polonaises.
Le développement ne serait pas possible sans une activité diplomatique et une coopération accrues dans le secteur privé. Au cours des dernières années, l’Agence polonaise d’investissement et de commerce a ouvert des bureaux en Éthiopie, au Kenya, en Tanzanie, en Afrique du Sud, en Angola, au Nigéria et au Sénégal.
Le mécénat gouvernemental est essentiel car non seulement il donne un plus grand statut aux investissements dans les différents pays, mais il les protège et les surveille en particulier. L’agence organise également des foires, des ateliers et des missions économiques, contacte des importateurs potentiels et promeut des marchés sélectionnés à travers des programmes comme GoAfrica, mis en place en 2013 ou des conférences d’experts pour les entreprises.
Le soutien du gouvernement est également offert par la Chambre nationale de commerce et les visites de diplomates de haut rang, y compris le président et le ministre des Affaires étrangères, au cours desquelles des contrats plus importants ont été signés – comme par le fabricant de tracteurs Ursus et la société de logiciels Asseco en Éthiopie, ou la visite de l’ancien Premier ministre Donald Tusk en Zambie, qui possède d’énormes réserves de cuivre d’intérêt pour KGHM.
Les initiatives européennes conjointes, y compris l’ouverture par l’UE d’un dialogue officiel avec l’Union africaine et la création de la Chambre économique européenne, sont également importantes. Celles-ci ne doivent pas être considérées comme une concurrence pour les chambres polonaises, car les organisations européennes cherchent à abolir les barrières pour toutes les entreprises du continent. Les initiatives privées jouent également un rôle majeur. Le principal initiateur de la formation du Conseil des investisseurs en Afrique a été le regretté homme d’affaires Jan Kulczyk, dont la société (présente dans 20 pays africains) a investi principalement dans le secteur extractif. Son achat d’une mine d’or en Namibie conjointement avec des cheikhs qataris et son intérêt pour l’aluminium, l’or et les diamants en Guinée ont suscité l’intérêt des médias.
Kulczyk Investments est rejoint au conseil par des géants de l’économie polonaise : Asseco Poland, Krezus, Lubawa, Polpharma, Ursus, Kopex, OPEN Architekci, Navimor International et Pietrucha International.
Il convient également de mentionner la Chambre de commerce et d’industrie polono-africaine, créée en 2013 ainsi que l’Institut de développement de l’Europe centrale et orientale, un groupe de réflexion qui produit des rapports, promeut les intérêts économiques, soutient les initiatives commerciales en Afrique et organise des conférences pour les pays d’Europe centrale et orientale. Chacune de ces institutions est un exemple de la façon dont la collaboration dans les organisations apporte des avantages pour toutes les parties dans le développement de l’entreprise dans toute la Pologne.
Pourtant, ils reçoivent moins de soutien que les Français, les entreprises néerlandaises ou turques, qui ont un plus large éventail d’associations, de chambres de commerce et de fonds. Combinés à une compréhension de longue date du marché (contacts commerciaux et coloniaux), à un plus grand capital et à des expériences d’autres parties du monde, ceux-ci ont rendu beaucoup plus facile la pénétration des marchés africains. Mais cela ne veut pas dire que nous devons abandonner d’emblée.
L’industrie minière a été jusqu’à présent la plus populaire parmi les investisseurs mondiaux en Afrique. Bien que les hydrocarbures représentent une grande partie du budget du Nigeria et de l’Angola, cela ne représente encore qu’une fraction du potentiel de production des pays du golfe Persique. Les réserves de pétrole découvertes en Ouganda en 2005 doivent encore être extraites. Les zones prometteuses sont le platine, le chrome et le phosphate (l’Afrique possède plus de 70% des réserves mondiales dans chaque cas), ainsi que l’or, le cobalt et les diamants (plus de 50% des gisements mondiaux). La part des matières premières dans les exportations africaines entre 1962 et 2014 se situe entre 50% et 90%, bien que cela inclue également les aliments et les métaux. Les investissements dans le secteur minier, cependant, impliquent des dépenses énormes et des risques politiques majeurs, car ils se déroulent généralement sous l’œil vigilant du gouvernement. Cela rend nécessaire de trouver un grand partenaire local avec des risques de décisions administratives arbitraires et de corruption. Il existe également une concurrence importante, car les compagnies pétrolières de Chine, d’Inde, du Brésil, de Russie et de Malaisie sont déjà présentes. Les gouvernements locaux sont plus enthousiastes à l’égard des investissements dans la production (y compris l’industrie et la transformation), qui impliquent une activité dans d’autres secteurs (services, transports, commerce) et provoquent un effet de ruissellement. Il s’agit d’une situation gagnant-gagnant classique – en plus des bénéfices de l’investisseur, les hôtes gagnent également du personnel et des emplois qualifiés.
Les biens de consommation ont un potentiel de croissance naturel en raison de l’augmentation prévue de la population. La plus grande chance d’expansion des entreprises polonaises est dans l’industrie alimentaire, en particulier les produits laitiers et la viande. Dans les décennies à venir, l’Afrique sera son plus grand marché. Selon les données de Statistics Poland, une agence gouvernementale, en 2018, le pays a exporté 145 000 tonnes de viande et de produits carnés d’une valeur de 445,6 millions de zlotys vers toute l’Afrique. Ces chiffres n’ont cessé d’augmenter ces dernières années. La majeure partie de cette situation arrive en Afrique du Sud, où la Pologne était le leader de l’UE en matière d’exportations de volaille, bien qu’il reste difficile de concurrencer les poulets en provenance des États-Unis et du Brésil et leurs faibles coûts de production. En 2018, l’industrie laitière polonaise a enregistré des exportations vers l’Afrique d’une valeur de près de 700 millions de zlotys (en Afrique subsaharienne, nous avons le plus échangé avec l’Afrique du Sud et le Sénégal). La Pologne a de bonnes chances de jouer un rôle majeur sur le marché agricole, principalement dans la transformation et le stockage des fruits et légumes. Des solutions pour faire face aux déchets, le service de santé et la logistique sont également nécessaires, bien que la Pologne ait ici une position de départ pire que ses concurrents européens. Les produits rares sur le marché africain comprennent également les machines, les matériaux de finition et les pièces automobiles. Nous pouvons également participer à la modernisation de l’agriculture – les entreprises polonaises Feerum et Araj ont récemment signé des contrats pour la construction de silos en Tanzanie afin de stocker 250 000 tonnes de céréales et de maïs. Ursus a déjà construit une ligne de production de tracteurs dans le même pays. Un marché prometteur pour les promoteurs est le Nigeria, avec un déficit actuel de logements de plus de 10 millions qui devrait augmenter rapidement dans les années à venir. Le Kenya connaît un boom de la construction et ce secteur a également besoin d’investissements au Ghana. Les matériaux de finition chinois sont souvent de qualité inférieure, ouvrant la voie aux produits polonais. Un salon d’exposition pour les matériaux de finition polonais a ouvert ses portes au Sénégal en collaboration avec le bureau du PAIH à Dakar, ce qui a conduit à d’autres contrats. Pourtant, cette expansion n’a pas été sans difficultés. Les exportateurs polonais sont confrontés à des obstacles pour atteindre les bons clients au Sénégal, tandis qu’un soutien fort de la production locale est nécessaire en Afrique du Sud, au Nigeria et au Kenya. L’Afrique du Sud a également des droits de douane élevés et une procédure onéreuse pour obtenir les permis de transport requis. En outre, une grande partie des bénéfices va aux intermédiaires néerlandais, belges et Français qui transportent de la viande polonaise en Afrique. Le potentiel de consommation de l’Afrique ne doit pas non plus être surestimé. Sa classe moyenne, dont la croissance est la clé d’un développement économique stable, est petite, sans bases solides et difficile à estimer et à définir. Ce n’est qu’avec un revenu mensuel par habitant de 5 000 dollars que les ménages commencent à dépenser plus de la moitié de leur budget pour des biens autres que la nourriture, et en Afrique, il y a encore des millions de personnes qui vivent avec moins d’un dollar par jour.
Ces dernières années, le succès le plus spectaculaire a été connu par Navimor de Sopot, qui a travaillé avec 93 entreprises pour construire l’Académie des sciences de la pêche et de la mer pour 400 millions de zlotys en Angola. Il s’agit du plus grand projet éducatif européen dans toute l’Afrique. La société est également présente dans d’autres pays africains, notamment au Nigeria, au Sénégal et en Maurétanie, mettant en œuvre des investissements maritimes et construisant des hôpitaux et des écoles. Asseco en est un autre qui peut se vanter de succès en Afrique. La société est représentée au Conseil des investisseurs polonais pour l’Afrique ; l’institution, crée en 2004, regroupe aujourd’hui dix entreprises considérées parmi les plus importantes de Pologne. En présence du président Andrzej Duda, elle a signé des contrats pour l’informatisation du secteur énergétique éthiopien. Après cette vente, le groupe déploie ses ailes sur d’autres marchés, et poursuit des contrats avec des entreprises du secteur bancaire et de l’assurance au Nigeria ainsi que l’organisation des formations des fonctionnaires en Angola. D’autres investissements notables de grandes entreprises sont Kulczyk Investments dans le secteur minier et la présence du groupe Pietrucha au Rwanda, considéré comme une clé de l’Afrique de l’Est, et au Nigeria, où le projet de régulation du fleuve Niger s’est effondré après la forte chute des prix des produits bruts en 2014. L’ouverture du Rwanda aux investisseurs étrangers a également abouti au premier investissement dans la production et l’exportation d’étain dans toute l’Afrique centrale et orientale. Le fonds d’investissement polonais Luma Holding s’est impliqué, achetant une usine d’étain locale et formant une alliance avec une entreprise locale en 2019. Dans le secteur de la transformation et du stockage, une entreprise aux perspectives intéressantes est Faspol, qui a installé en 2018 350 refroidisseurs de lait ultra-modernes pour 22,5 millions de dollars et créé une entreprise locale. Ces dernières années, Ursus a pu se vanter d’investissements d’une valeur de plusieurs dizaines de millions d’euros en Éthiopie (ventes de 3 000 tracteurs pour 90 millions de dollars en 2013), en Tanzanie (deux lignes de production et 2 400 tracteurs vendus en pièces), en Zambie (2 700 véhicules pour 100 millions de dollars), des projets de construction d’une usine et d’une usine de machines agricoles au Soudan, et prévoit également d’entrer en Namibie. Bien que les perspectives financières de l’entreprise ne soient pas positives (près de 100 millions de zlotys de pertes en 2019), son exemple montre que les entreprises polonaises peuvent remporter des contrats en Afrique. Bien sûr, il y a d’autres exemples d’investissements polonais infructueux. Grupa Azoty, un groupe chimique, qui a acheté des actions majoritaires dans l’African Investment Group pour près de 30 millions de dollars en 2013, n’a pas réussi à conquérir l’Afrique. L’année dernière, il a conclu que l’extraction de phosphorite au Sénégal n’était pas rentable et s’est retiré du projet.
Depuis 2014, on assiste à une redynamisation des relations bilatérales entre la Pologne et le Sénégal. En avril de cette année, le Premier ministre polonais a rencontré le président du Sénégal lors du sommet UE-Afrique à Bruxelles et une visite à Dakar a également été effectuée par le vice-ministre des Affaires étrangères et le vice-ministre de l'économie accompagnés par plusieurs entrepreneurs polonais. Un accord sur les consultations politiques a été signé à l’occasion. En 2015, le Sénégal a ouvert une ambassade à Varsovie et la Pologne, l'année suivante à Dakar traduisant ainsi l'intensification des relations politiques et économiques entre les deux pays. En octobre 2016, le président sénégalais Macky Sall s’est rendu en Pologne. En présence des deux présidents, des mémorandums ont été signés concernant les consultations politiques, la coopération entre les ministères des finances des deux pays dans le domaine de l’agriculture, du sport et du tourisme, et un accord entre l’Agence polonaise d’information et d’investissement étranger et APIX-SA. Un forum économique polono-sénégalais fut mis en place afin de soutenir les entreprises présentes sur les deux marchés. Les deux présidents se sont entretenus au sujet de la coopération dans le domaine de la science, de la construction navale, de la pêche, des investissements que le président Sall a l’intention de mettre en œuvre. Il s’agit de la construction de lignes de chemin de fer, d’infrastructures routières, d’extraction de matières premières, non seulement de roche phosphaté, mais aussi de gaz naturel. Les autorités sénégalaises ont soutenu la candidature de la Pologne à un membre non permanent du Conseil de sécurité de l'ONU en 2018-2019. Le Sénégal est le partenaire économique clé de la Pologne en Afrique de l’Ouest. Le volume des échanges polono-sénégalais en 2020 s'élevait à plus de 147,5 millions de dollars. Les exportations vers le Sénégal se sont élevées à 129,2 millions des dollars (augmentation d'environ 21 %) et les importations au niveau de 18,3 millions des dollars (diminution d'environ 37,2 %). L'excédent s'élevait à plus de 110 millions de dollars. La Pologne exporte principalement sur le marché sénégalais des produits agroalimentaires (environ 83 % des exportations polonaises vers ce marché) des machines (environ 6,1%) et des produits minéraux (environ 4,3%). Les principales importations du Sénégal sont phosphates de calcium naturels, phosphates d'aluminium et de calcium naturels, craie phosphatée (broyée et non broyée) (d’une valeur de 15,3 millions de dollars), des légumes - tomates fraîches ou réfrigérées (1,4 million des dollars) et instruments pour des analyses physiques (1,2 million des dollars). Ce dynamisme s’explique par une politique économique favorable aux investisseurs étrangers mise en place par le Président Sall. Le Plan Sénégal Emergent (PSE) qui est au cœur de la stratégie de développement économique du pays, a créé des zones économiques spéciales et mis en place des allégements fiscaux importants.
Echanges commerciaux entre la Pologne et le Sénégal entre 2016 et 2020 (en millions de $)
Données 2016 2017 2018 2019 2020
Exportations de la Pologne vers le Sénégal 50,2 84,4 69,24 106,4 129,2
Exportations du Sénégal vers la Pologne 28,1 11,7 15,99 29,1 18,3
Total des échanges commerciaux Pologne/Sénégal 78,3 96,1 85,23 135,5 147,5
Déficit commercial du Sénégal -22,1 -72,7 -53,25 -77,3 -110,9
Source : Auteur. Données : INSIGOS
Le dynamisme dans les échanges entre la Pologne et le continent africain s'est essoufflé après les élections législatives de 2015 qui ont amené un nouveau parti au pouvoir. Le nouveau gouvernement s'est concentré avant tout sur le développement des activités avec des partenaires plus traditionnels tels que les Etats-Unis et l'UE. Par conséquent, les exportations de la Pologne vers l'Afrique n'ont que peu progresser depuis 2016 pour atteindre 2,8 milliards de dollar, soit une part de 1,1 % dans les exportations totales. Force est de constater que d'autres facteurs ont contribué à ce ralentissement dans les relations polono-africaines, comme La crise des matières premières sur le continent « a entraîné une chute des rentrées de devises et poussé plusieurs gouvernements africains à lancer des politiques pour s’approprier une plus grande maîtrise de leurs matières premières, conduisant ainsi une réduction des demandes d’importation ». La dernière décennie a apporté une nouvelle perspective sur l’Afrique subsaharienne en Pologne de la part des investisseurs et des médias. La « découverte » de l’Afrique s’est accompagnée d’un optimisme exagéré quant aux possibilités économiques, suivie d’une perspective plus sobre. L’Afrique reste le continent de l’avenir, mais les plans d’investissement ne peuvent pas être élaborés pour l’ensemble du continent, mais de manière sélective, compte tenu des exigences uniques de chaque pays. Bien que pour les entreprises polonaises, l’Afrique subsaharienne ne soit plus un monde mystérieux et inconnu, elles ne tirent toujours pas le meilleur parti de ses opportunités. Pour réussir en Afrique, ils ont besoin de patience et de détermination, et en termes techniques de collaboration avec des agences et des institutions sur le terrain et familières avec le marché. Les entreprises privées et l’Agence polonaise de l’investissement et du commerce revigorée peuvent vous aider à cet égard. Pour rejoindre la course aux consommateurs africains, la Pologne doit agir courageusement, en tirant parti de la bonne qualité de nos produits à des prix abordables, de notre savoir-faire technologique et de sa véritable force dans le secteur alimentaire. La Pologne pourrait également apporter sa contribution pour relever les défis auxquels les pays africains doivent faire face comme la numérisation, la lutte contre le réchauffement climatique ou encore la lutte contre le terrorisme.
Krzysztof SOLOCH, Chercheur Associé - Fondation Kazimierz Pulaski
2 December 2021